Je suis née en 1100 de notre ère, sous le nom d'Elébianne Ozzello. Mon père était un paysan italien qui possédait de nombreuses terres, il menait la vie dure, mais son affaire était prospère. Je ne manquais donc de rien, bien que je fus habituée à d'harassantes tâches dès ma prime jeunesse. J'étais cependant la dernière enfant d'une famille de quatorze rejetons. C'est en grandissant que mon père commença à accumuler le profit de tout son dur labeur et pu se payer du personnel.
Mes sœurs et mes frères avaient fait des mariages d'intérêt mais lorsque j'eus quinze ans, l'âge coutumier pour être donnée en épousailles, la situation financière de mon père était si bonne qu'il ne m'imposa aucun mari. Au contraire, il m'offrit de choisir moi même l'homme que je désirerais épouser.
Alors, comme une petite fille pauvre découvrant un destin de princesse, je pris la décision d'attendre l'âme-sœur. Par ailleurs, j'avais un secret. Depuis ma toute petite enfance j'avais remarqué chez moi un certain don pour améliorer le sort des plantes et des animaux. Sous mes doigts, tout croissaient et guérissaient à force de patience et d'amour.
Ma mère s'en était rendu compte. Elle disait même que c'était peu de temps après ma naissance que mon père avait finit par faire fortune et que nos vies étaient peu à peu devenues confortables. Elle prétendait que j'étais une fée. Un ange offert comme le dernier des cadeaux de sa matrice pour améliorer leur vie.
Lorsque j'eus vingt ans, aucun homme ne s'était encore avéré assez désirable à mes yeux. Je passais le plus clair de mon temps dans la nature, à soigner, guérir et cultiver mon propre petit potager. J'étais heureuse et je n'étais pas pressée de convoler en épousailles. J'apprenais à utiliser mon don et j'étais certaine, complètement certaine, que la vie serait féconde pour moi. Que j'obtiendrais tout ce que je pouvais souhaiter. C'était une évidence. La vie et la joie m'habitaient.
Et un jour, comme pour me donner raison, un homme vêtu d'un superbe pourpoint soulignant sa riche condition se présenta aux abords du verger. C'était le plus bel homme au monde. Sa peau était aussi blanche que la mienne était tannée par le soleil, ses cheveux aussi blonds que ma chevelure noir l'était de jais. Il était sublime, mon parfait opposé, un délice pour le regard que mes yeux n'auraient jamais pu espérer contempler un jour.
Il prétendait être en voyage dans la contrée et en désir de la connaitre davantage. Je me fis un plaisir de lui parler de la campagne, de la faune et de ses gens. J'aimais tant ma région.
Bientôt, nous nous vîmes de plus en plus régulièrement. Je me rendis vite compte que j'étais fascinée par lui, et bientôt, dépendante de son regard d'or. Je ne pensais plus qu'à lui. Il hantait mon existence comme le soleil pénètre les fruits et les rend meilleur.
Un beau jour, alors que j'étais prête à tout lui avouer, à tout lui donner de moi, il posa un genou à terre et me demanda en mariage. Je crois que cet instant fut le plus beau de toute mon existence. Nous nous embrassâmes délicatement sous les branches du saule pleureur et je sus que j'avais trouvé mon âme-sœur.
Théobald, c'était son nom, était très riche, ce mariage idéal plut à mes parents qui bénirent notre union. De plus, mon merveilleux prétendant accepta de rester vivre en Italie, et fit l'acquisition d'un magnifique manoir entouré de jardins, non loin de la propriété de ma famille. C'était parfait. À peine quelques semaines après nos épousailles, nous remarquâmes que j'étais enceinte. Comme je l'avais toujours pensé, la vie avait été très généreuse avec moi.
Bien sûr, je savais que Theobald n'était pas comme les autres. Il avait la peau froide et une immobilité qui m'étonnai parfois. Mais je n'étais pas non plus comme les autres.
Je n'avais jamais vraiment su lui parler de mon don. J'estimai qu'il avait le droit à ses secrets lui aussi.
Mais un jour, il s'absenta prétextant des affaires à régler et ce pour plusieurs jours. Mon accouchement était prévu pour dans une ou deux lunes. J'étais pressée que les enfants viennent, car il était certain que j'attendais plusieurs enfants, au vue du nombre de mains qui tapissaient mon ventre par instant.
Une femme d'une extrême pâleur et beauté se présenta à moi un soir. Et elle se mit à me raconter une histoire qui me fit frissonner. Theobald était un vampire. C'était elle, Meliannile qui l'avait transformé alors qu'il n'était qu'un jeune homme simple d'esprit. Grâce à elle, il avait obtenu une vie normale, et plus que cela, un esprit clair et une force incroyable. Mais il avait été ingrat, désirant avant tout donner une descendance à son père et sa famille de sang. Ne pouvant désormais plus mettre au monde d'enfant humain, Theobald avait alors parcouru le monde en tentant de trouver l'une des trois grâces. Celle qui possédait le don de fécondité et qui, assurément, lui donnerait un jour des enfants parfaitement humains. J'étais cette nymphe, comme il en naissait à chaque époque, j'avais ce don. J'étais la même que la première de toute, Thalie. Et c'était pour cette raison que Theobald m'avait choisie.
Après m'avoir raconté tout cela, Meliannile se pencha sur moi avec un sourire malsain et murmura " Mais il est temps que tu connaisse l'éternité d'une vie stérile et sombre "
Ensuite, elle me mordit. Je me débattis en vain et lorsqu'elle me relâcha, une horrible douleur s'immisça dans ma gorge. Meliannile s'installa sur une chaise devant moi avec un sourire cruel tandis que je m'écroulai sur le sol. La douleur s'accentua, je hurlais tandis que mon ventre se tordait spasmodiquement. Mes enfants furent pratiquement expulsés de mes entrailles et je fus incapable d'en voir davantage, car la douleur brouillait mes sens.
Lorsque je revins à moi après une éternité de souffrance, les trois cadavres de mes petits gisaient à mes pieds dans une marre de sang caillé. Une horrible douleur emprisonna ma gorge, m'aliénant à un désir bestial de sang.
Méliannile sourit, son forfait accomplit et Theobald arriva. Il vit le massacre de nos enfants. Il me vit moi, désormais créature des ténèbres et il s'effondra à genoux, anéanti.
Je pense qu'il m'aimait sincèrement, mais le fait qu'il n'ai pas su tout me dire et qu'il m'ait utilisée était une trahison trop lourde à porter. Je voulu tuer de mes mains Méliannile mais elle sut se défendre. Alors, je partis, les abandonnant l'un et l'autre à leur sort. J'étais certaine de haïr Méliannile pour l'éternité et je n'étais pas certaine de savoir pardonner Theobald un jour.
J'étais faite de haine. J'avais cru que mon destin serait de lumière et d'amour et j'étais désormais vouée aux ténèbres.
Je me mis à boire du sang humain et à n'écouter que cette part sombre de mon âme. Puis un jour, après des années, je pris conscience qu'une partie de mon don avait perduré au-delà de la transformation. Cette partie c'était même accentuée. Le don de guérison. Je pouvais guérir les humains, les animaux et les plantes, dans des mesures différentes. Par ce don, la vie me souriait à nouveau. Du moins, légèrement, suffisamment peut-être pour que je décide de reprendre goût aux choses.
Je traversais donc des siècles à tenter de calmer ma soif d'êtres humains en me nourrissant d'animaux que je guérissais après les avoir mordus, et d'autres siècles à n'écouter que mon désir de tuer. Cette dualité en moi ne semble pas prête de s'éteindre. Comme si, on me mordant, Méliannile avait brisé ce quelque chose d'essentiel qui m'avait mise au monde.
Récemment, j'ai pris le prénom de Thalie en me disant que cela me portera peut-être chance, tout en conservant mon nom de famille d'origine. Puis, j'ai décidé de venir vivre à Forks. Cette bourgade tranquille cache pourtant des faits extraordinaires. Peut-être y trouverais-je ma place ? Peut-être pas. Après tout, cette quête est celle de tous les êtres sur terre.
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